Si les premières collections de gardes de sabre japonais (tsuba) se sont constituées en France dès le début des années 1880, les études sur le sujet n’ont commencé à paraître que quelques années plus tard, d’abord de manière allusive, à l’occasion d’une planche dans un recueil ou un périodique (Le Japon artistique, 1888-1891) ou bien dans la préface d’un catalogue de vente, puis de manière plus approfondie. Le petit ouvrage du marquis Georges de Tressan paru en articles dans le Bulletin de la société franco-japonaise de Paris (n°18-20, 22 et 25) entre 1910 et 1912, puis rassemblé en volume, constitue l’une des premières études systématiques sur ce sujet.
Ce petit ouvrage de 132 pages aborde un sujet aujourd’hui souvent méconnu de l’histoire de l’art japonais, alors même que les gardes de sabre (tsuba) ont été des objets de collection très prisés dès les premières heures du japonisme. On entend par garde de sabre un élément métallique amovible – et qu’on peut donc trouver sur le marché de l’art indépendamment de la lame sur laquelle il a été d’abord monté – d’environ 6 à 10 cm de diamètre séparant la lame de la poignée. Une des fonctions du tsuba était de protéger la main du samouraï de sa propre lame, en évitant qu’elle ne glisse dessus ; une autre était d’équilibrer le sabre ; mais au moins à partir du 15e siècle, la garde de sabre remplit aussi une fonction décorative.
L’éventail de décors qui s’y déploie malgré les contraintes de l’objet n’a de limite que dans le savoir-faire et la virtuosité des artistes qui les créaient, les tsubakō, véritables orfèvres dont les ateliers et les écoles se distinguèrent progressivement de ceux qui se dédiaient à la création des lames elles-mêmes. Dans le dernier tiers du 19e siècle, avec la disparition relativement brutale des samouraïs et l’intérêt de l’Occident pour un Japon jusque-là quasiment inaccessible, les tsuba ont été rassemblés en collections avec la même ferveur que les estampes, les paravents, les laques ou les netsuke, car ils constituaient un véritable répertoire décoratif du Japon traditionnel.
C’est justement de la transition entre cet engouement et une forme d’intérêt plus scientifique que témoigne le petit ouvrage de Georges de Tressan. Illustré de 114 reproductions et d’une carte situant les principales écoles, L’évolution de la garde de sabre japonaise est en fait un tournant dans l’histoire de cet art. Jusque-là dominé par les grands marchands d’art (Hayashi, Bing) ou collectionneurs, ce champ faisait l’objet d’un débat sur la manière de classer les tsuba et donc de les décrire. L’apport de Georges de Tressan à ce débat a fait l’objet d’une étude approfondie par Manami Asuka (notamment « Un précurseur de l’histoire de l’art japonais en France : Georges de Tressan (1877-1914) » dans Arts asiatiques 65 (2010), p. 167-180).
Lieutenant d’active qui ne fit jamais le voyage vers l’archipel, G. de Tressan s’intéressa, à partir de l’exposition universelle de 1900, à l’art japonais, apprit à lire le japonais ancien en autodidacte et commença une collection de tsuba remarquable. Tenant des fiches descriptives très complètes de ces objets, avec bibliographie et photographie, il traite le sujet avec systématicité et méthode, en visant à l’exhaustivité.
G. de Tressan alliait depuis ses premiers travaux (Notes sur l’art japonais 1905-1906) une méthode à la connaissance pratique de l’objet, tout en bénéficiant de conseils et d’échanges au sein d’un réseau de collectionneurs et conservateurs de musées européens (Victoria and Albert Museum de Londres, Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg, etc).
G. de Tressan alliait depuis ses premiers travaux (Notes sur l’art japonais 1905-1906) une méthode à la connaissance pratique de l’objet, tout en bénéficiant de conseils et d’échanges au sein d’un réseau de collectionneurs et conservateurs de musées européens (Victoria and Albert Museum de Londres, Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg, etc). La particularité des travaux de G. de Tressan était, outre son caractère méthodique, le fait de ne pas s’intéresser seulement aux périodes artistiques les plus récentes (l’ukiyo-e notamment) qui avaient la faveur du public, mais aussi aux époques anciennes.
L’exemplaire conservé par la Bnu de ce court traité a la particularité d’être dédicacé par l’auteur à Florine Langweil, autre figure du japonisme français et européen (et même alsacien). Florine Langweil, elle aussi collectionneuse d’art chinois et japonais, mena de 1893 à 1913 une activité de marchande d’art à Paris, mais aussi d’experte appelée pour conseil dans plusieurs musées européens. Elle faisait à ce titre partie du même cercle ou réseau que G. de Tressan. Originaire de Wintzenheim, elle forma par ses dons largement dispensés les premières collections d’art japonais dans les principaux musées alsaciens.
La collection de tsuba exposée à la Bnu jusqu’au 13 juillet 2022, comporte une pièce issue de la collection de G. de Tressan (n°97 du catalogue Samouraïs, guerriers et esthètes).