Ce document mêlant quatre techniques artistiques - calligraphie, peinture, dessin et collage - constitue un chef d’œuvre méconnu des collections de la Bnu.
Le genre moraqqaʻ, litt. « rapiécé », est né au 15e siècle en Perse. Il s’agit d’albums de pages calligraphiées ou peintes, rigides ou cartonnées, non pas reliées en cahier (codex) mais réunies en accordéon, couvertes d’une reliure en cuir estampée ou laquée. Cet art persan arriva à son apogée sous les Safavides (1501-1722), et fut diffusé en Inde sous les grands Mogols (1526-1707) et dans l’Empire ottoman où une nouvelle technique, le collage (qetâʻi) y a été introduite. Cette technique consistait à découper des calligraphies ou des dessins pour ensuite les coller sur un papier décoré d’éléments séparés, de toute nature : pailles, feuilles mortes, etc. La technique de collage, née en Chine, arriva dans l’Empire ottoman via la Perse où elle a été abandonnée.
Le moraqqaʻ de la Bnu (Ms. 4.322) est un chef-d’œuvre de 46 feuillets contenant des poèmes persans calligraphiés en écriture nastaʻliq, des citations (hadis) attribuées au prophète Mohammad et calligraphiées en écriture naskh, deux miniatures persanes (l’ascension ou meʻrâj de Mohammad (illustration ci-dessus) et un fauconnier safavide), deux collages ottomans, dessins et écriture, œuvres de l’artiste turc Fakhri al-Bursavi (illustration ci-dessous).
Les calligraphes et les peintres qui ont travaillé sur ce moraqqaʻ étaient des artistes de renommée. Ils ont vécu pour la plupart en Perse sous les Timurides et les Safavides, comme Soltân ‘Ali Mashhadi qui fréquenta la cour du sultan timuride Hoseyn Mirzâ Bâyqarâ (1469-1505) à Herat, ou Mahmud Neyshâburi, calligraphe à la Cour des deux premiers chahs safavides, Esmâiʻil I (1501-1524) et son fils Tahmâsb (1524-1576).
Les albums de moraqqaʻ étaient réalisés sur ordre de mécènes princiers pour être conservés ou offerts comme présents diplomatiques. Le romantisme européen aux 18e et 19e siècles a éveillé l’intérêt pour l’art oriental : ces albums étaient alors produits surtout pour les marchands et collectionneurs occidentaux sillonnant la Perse ou l’Empire ottoman à la recherche d’objets d’art. La provenance du moraqqaʻ de la Bnu est incertaine. Il a été constitué à partir du 17e siècle, soit en Perse soit dans l’Empire ottoman (1).
(1) Ce texte s’inspire, avec quelques modifications, de la notice suivante : « Calligraphie, peinture, dessin, collage : quatre techniques pour une seule œuvre », rédigée par Nader Nasiri-Moghaddam (Texte publié dans Trésors des Bibliothèques et Archives d’Alsace, ouvrage réalisé sous la direction scientifique de Rémy Casin, Jean-Luc Eichenlaub, Bernadette Litschgi, Claude Lorentz, Laurent Naas et Mathilde Reumaux, Éditions La Nuée Bleue / Éditions du Quotidien, en coédition avec l’association de Coopération régionale pour la documentation et l’information en Alsace, Strasbourg, 2017, p. 209).
Auteur : Nader Nasiri-Moghaddam, Professeur et Directeur du Département d’études persanes à l'Université de Strasbourg